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1812-1876
1883
Nohant, 18 février 1848.
Mon cher garçon,
Je suis bien contente d'avoir de tes nouvelles. Je ne suis pas bien gaieloin de toi, quoique je me batte les flancs pour l'être. Mais, enfin, ilfaut bien que tu remues un peu et que tu prennes l'air du bureau, quetu respires l'air pur et embaumé de Paris, et que tu ailles adorer lesdécrets divins du jury de peinture. Apprête-toi à tout ce qu'il y a depis, afin de n'avoir pas la souffrance et le dépit des autres années.
Il me faut tout de suite les états de service de mon père: je t'avaisdit que c'était une des choses les plus pressées, ainsi que de terenseigner auprès de ton oncle. Mais tu te plonges dans les délices ducarnaval, et tu oublies tes commissions. Amuse-toi, c'est fort bien,«nous n'en doutons pas», comme on dit à Dun-le-Carrick; mais il fautfaire marcher de front les affaires et les plaisirs, ni plus ni moinsqu'un petit Buonaparte. Songe que, si je suis en retard, et que jepaye mille francs d'amende par quinzaine, ça ne sera pas du tout drôle.Or, j'arrive dans très peu de jours à l'époque de la vie de mon père oùje ne sais plus rien. Les Villeneuve n'en savent rien non plus. J'aiécrit au général Exelmans; mais il est à Bayonne, et Dieu sait quand ilme répondra, Dieu sait de quoi il se souviendra. Mon oncle doit savoirles campagnes que mon père a faites depuis 1804 jusqu'à 1808. Demandesurtout les états de service; avec cela, on est sûr des principauxfaits. Vite, vite et vite!
Rien de changé ici, en dehors de ton absence, qui fait un grandchangement. Borie est encloué comme un canon, c'est-à-dire qu'il aun clou je ne sais pas où, mais je présume que c'est dans un vilainendroit. Il est sens dessus dessous à l'idée qu'on va faire unerévolution dans Paris. Mais je n'y vois pas de prétexte raisonnabledans l'affaire des banquets. C'est une intrigue entre ministres quitombent et ministres qui veulent monter. Si l'on fait du bruit autour deleur table, il n'en résultera que des horions, des assassinats commispar les mouchards sur des badauds inoffensifs, et je ne crois pas quele peuple prenne parti pour la querelle de M. Thiers contre M. Guizot.Thiers vaut mieux à coup sûr; mais il ne donnera pas plus de pain auxpauvres que les autres. Ainsi je t'engage à ne pas aller flâner par là;car on peut y être écharpé sans profit pour la bonne cause. S'il fallaitque tu te sacrifiasses pour la patrie, je ne t'arrêterais pas, tu lesais; mais se faire assommer pour Odilon Barrot et compagnie, ce seraittrop bête. Écris-moi ce que tu auras vu de loin, et ne te fourre pasdans la bagarre, si bagarre il y a, ce que je ne crois pourtant pas.
Tu ne savais donc pas que Bakounine avait été banni par notre honnêtegouvernement. J'ai reçu une lettre de lui il y a un mois environ, et jecrois te l'avoir lue; mais tu ne t'en souviens pas. Je lui ai répondu,avouant que nous étions gouvernés par de