COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE
REVUE MENSUELLE
XXV
PARIS.—TYPOGRAPHIE DE ROUGE FRÈRES; DUNON ET FRESNÉ
Rue du Four-Saint-Germain, 43.
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR
M. DE LAMARTINE
TOME VINGT-CINQUIÈME
PARIS
ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR
9, RUE CAMBACÉRÈS (ANCIENNE RUE DE LA VILLE-L'ÉVÊQUE, 48)
1868
(p. 5) COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE
Vers l'année 1762, un phénomène littéraire étrange apparut comme unecomète dans le monde; les imaginations en furent ébranlées, ainsiqu'elles avaient pu l'être à l'apparition des poëmes homériques enGrèce; l'histoire en fut éclairée, les traditions, jusque-là verbales,se renouèrent, et la poésie servit de témoin aux récits des plusantiques (p. 6) légendes. L'Angleterre, où ces poëmes galliquesvenaient d'être découverts, recueillis, écrits et vraisemblablementretouchés et complétés par un gentilhomme écossais nommé Macpherson,ne fut pas la seule contrée vivement émue par ces chants; ils serépandirent dans toutes les autres contrées littéraires de l'univers,France, Allemagne, Espagne, Italie, par les traductions, en prose eten vers; Letourneur, en prose française, Baour-Lormian, en fragmentspoétiques, Césarotti, en magnifiques vers italiens, à Vérone et àMilan, les consacrèrent dans les différents idiomes; le trésor desmonuments écrits s'enrichit ainsi d'un monument de plus. Ce monumentne ressemblait à aucun autre; les poëtes coloristes comptèrent unecouleur de plus. Ils avaient toutes les teintes du jour, ils eurentcelles de la nuit.
Au commencement, un cri de reconnaissance et d'admiration s'élevaunanimement à la gloire de Macpherson, l'inventeur patient etlaborieux de ce nouveau monde, le Christophe Colomb de cette terre desdécouvertes; nul n'osait contester à cet homme extraordinairel'authenticité et le mérite (p. 7) de son invention; comment un seulhomme aurait-il recomposé un monde évanoui, des paysages, deshistoires, des mœurs, des héros, des chanteurs lyriques ou épiques,des sentiments et des tristesses inconnus jusqu'alors du genre humainet fait par une misérable supercherie ce qu'un Dieu seul pouvaitfaire, la résurrection d'un monde inconnu? C'était le cas de s'écrieravec J. J. Rousseau: «L'invention serait plus miraculeuse que lehéros.»
Aussi, au premier moment, l'acceptation du livre fut complète. Nuln'osa s'inscrire en faux contre Macpherson. Mais, après un certainnombre d'années muettes, l'incrédulité commença à insinuer ses douteset bientôt à nier. Le fameux docteur Johnson se signala par lavivacité de ses attaques. Macpherson ne répondit que par le dépôt desmanuscrits; Césarotti, intéressé plus que personne à vérifier lestitres de sa gloire, publia en 1807, ses discours critiques surl'authenticité des chants d'Ossian: «Un poëte, dit-il, qui sous lenom d'Ossian, a su se rendre célèbre et immortel comme un homme degénie, n'aurait-il pas d'abord donné (p. 8) dans sa langue usuelle desessais éclatants de son mérite poétique?
«M. Campbell, auteur d'un ouvrage savant et classique, regarde commehors de doute que les poëmes attribués à Ossian existaient, et étaientgénéralement connus dans la haute Écosse avant que Macpherson essayâtpour la première fois de les traduire; qu'ils n'é