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LES GRANDS ORATEURS DE LA RÉVOLUTION

MIRABEAU—VERGNIAUD—DANTON—ROBESPIERRE

par

FRANÇOIS-ALPHONSE AULARD

[Illustration]

MIRABEAU

I.—L'ÉDUCATION ORATOIRE DE MIRABEAU

Nul homme ne fut peut-être mieux préparé que Mirabeau à la carrièreoratoire. Ces conditions de savoir universel réclamées par les anciens,il les remplissait mieux que personne en 1789. Sa lecture étaitprodigieuse, grâce aux longues années qu'il avait passées en prison. Niau château d'If, ni au fort de Joux, ni au donjon de Vincennes, leslivres ne lui furent interdits. Il en demande et en obtient de toutessortes: romans, histoire, journaux, pamphlets, traités de géométrie, dephysique, de mathématiques affluent dans sa cellule, et, si on tente deles lui refuser, son éloquence irrésistible séduit et conquiert geôlierset gardiens. Loin d'être isolé, par sa captivité, du mouvement desidées, il reste en contact quotidien avec le développement intellectuelde son époque. C'est peu de lire: il prend des notes, fait des extraits,envoie chaque jour à Sophie un journal où ses impressions de lecteurtiennent autant de place que ses effusions d'amoureux, commente ettraduit Tacite, compose son Essai sur les lettres de cachet et sur lesprisons d'État, un essai sur la Tolérance, et, pour l'éducation del'enfant que va lui donner sa maîtresse, une mythologie, une grammairefrançaise, un cours de littérature ancienne et moderne; enfin, pourdécider Sophie à vacciner cet enfant, un traité de l'inoculation. Ce nesont là que ses griffonnages de prisonnier. Les livres qu'il publieattestent une diversité d'études plus grande encore: le commerce, lafinance, les eaux de Paris, le magnétisme, l'agiotage, Bicètre,l'économie politique, la statistique, il n'est aucun sujet à la mode àla fin du XVIIIe siècle, même la littérature obscène, qu'il n'ait abordéet qu'il n'ait traité avec éclat, scandale, succès. Il n'ignorait riende ce qui intéressait ses contemporains et ce qu'il avait appris, il sel'assimilait assez vite pour paraître l'avoir su de naissance. Oui,comme l'orateur antique, il pouvait discourir heureusement sur n'importequel sujet et étonner l'Assemblée constituante de la variété de sesconnaissances: qu'il s'agisse de politique générale, de finances, demines ou de testaments, il paraît tour à tour spécialiste dans chacunede ces questions. Que dis-je spécialiste? Ceux-là même auxquels il doitsa science récente s'instruisent à l'entendre, et c'est ainsi que lesrhéteurs d'Athènes et de Rome se représentaient l'orateur digne de cenom: «Que Sulpicius, dit Cicéron, ait à parler sur l'art militaire, ilaura recours aux lumières de Marius; mais ensuite, en l'entendantparler, Marius sera tenté de croire que Sulpicius sait mieux la guerreque lui.»

Mais si Mirabeau avait appris un peu de tout, ce n'était pas seulementpour devenir «un honnête homme» à la mode du XVIIIe siècle, ou, commenous disons aujourd'hui, par curiosité de dilettante: le but de cesétudes ne cessa d'être, à son insu peut-être, l'art de la parole.Directement ou indirectement, tout ce qu'il lit, tout ce qu'il écrit neva servir qu'à perfectionner en lui ce don de l'éloquence qui lui étaitnaturel. Tous ses livres sont des discours, et il n'écrit pas une phrasequi ne soit faite pour être lue à haute voix, déclamée. Même dans seslettres d'amour, même dans ses confidences à Sophie, il est orateur, ils'adresse à un public que son imagination lui crée, et, après avoirtutoyé tendrement son amie, il s'écrie: «Voyez l

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