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Gottfried August Bürger
(1748 — 1794)
Table des matières
Aux premières lueurs du matin, Lénore, fatiguée de rêves lugubres,s'élance de son lit. Es-tu infidèle, Wilhelm, ou es-tu mort?tarderas-tu longtemps encore?—Il avait suivi l'armée du roiFrédéric à la bataille de Prague, et n'avait rien écrit pourrassurer son amie.
Lassés de leurs longues querelles, le roi et l'impératricerevinrent de leurs prétentions et conclurent enfin la paix.Couronnée de verts feuillages, chaque armée retourna, en chantant,dans ses foyers, aux sons joyeux des fanfares et des cymbales.
De tous côtés, sur les chemins et sur les ponts, jeunes et vieuxse portaient en foule à leur rencontre. Dieu soit loué!s'écriaient plus d'une épouse. Sois le bienvenu! disaient plusd'une fiancée. Lénore seule attendait le baiser du retour.
Elle parcourt les rangs: elle les monte; elle les redescend, elleinterroge, hélas, en vain. Dans cette foule innombrable, personnene peut lui donner de réponse certaine. Déjà tous sont éloignés.Alors elle arrache ses beaux cheveux, et se roule à terre dans ledélire du désespoir.
Sa mère s'approche: Dieu ait pitié de toi, ma pauvre enfant! et laserrant dans ses bras, elle lui demandait la cause de sa douleur.
—Oh! ma mère! ma mère! il est mort! mort! Périsse le monde ettout ce qu'il renferme; Dieu est sans pitié. Malédiction sur moi,malheureuse que je suis!
—Que Dieu nous aide, ma fille, implore sa bonté[2] ce qu'il faitest bien fait, et jamais il ne nous abandonne.
—Oh! ma mère, c'est une vaine illusion, Dieu m'a abandonnée: mesprières sont restées inutiles; à quoi serviraient-ellesmaintenant?
—Que Dieu nous aide! Celui qui connaît sa puissance sait qu'ilpeut nous secourir jusque dans les enfers. Sa sainte parolecalmera tes douleurs[3].
—Oh! ma mère, la douleur qui me tue, aucune parole ne pourra lacalmer. Aucune parole ne peut rendre la vie aux morts!
—Écoute, mon enfant, peut-être le perfide a-t-il trahi sa foipour une fille de la lointaine Hongrie. Efface-le de ton souvenir.Il ne sera jamais heureux, et, à l'heure de la mort, il sentira lechâtiment de son parjure.
—Oh! ma mère! les morts sont morts, et ce qui est perdu estperdu. La mort, voilà mon lot. Oh! que je voudrais n'être pas née.Éteins-toi pour toujours, flambeau de ma vie! que je meuredans l'horreur et dans les ténèbres! Dieu est sans pitié!Malédiction sur moi, malheureuse que je suis!
—Mon Dieu! ayez pitié de nous; n'entrez pas en jugement avec mapauvre enfant, ne comptez pas ses péchés! Elle ne sait pas quellessont ses paroles. Oh! ma fille, oublie les souffrances de cemonde: pense à Dieu, à la félicité éternelle; au moins ton âmeimmortelle ne restera pas dans le veuvage[4].
—Oh! ma mère! qu'est-ce que la félicité, qu'est-ce que l'enfer?Avec Wilhelm est la félicité, sans Wilhelm est l'enfer.Éteins-toi pour toujours, flambeau de ma vie! que je meure dansl'horreur et dans les ténèbres! Dieu est sans pitié