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LE PAYS DE L'OR

Par
Henri Conscience

I

LE BUREAU

Un matin du mois de mai de l'année 1849, un jeune commis, assis devantun pupitre, était seul dans le bureau d'une maison de commerce peuimportante, à Anvers.

Il était haut de taille et blond de cheveux; sa figure fraîche et fine,avec quelque chose de rêveur dans l'expression, paraissait indiquer uncaractère très-doux, quoique l'éclat de ses yeux bleus accusât unecertaine force d'âme ou du moins une nature enthousiaste.

Il était occupé à écrire; cependant il interrompait souvent son travailpour jeter les yeux sur un journal ouvert à sa droite sur le pupitre. Lecontenu de cette feuille semblait l'attirer chaque fois avec unenouvelle force, car c'était évidemment contre sa volonté qu'ildétournait si souvent son attention de son ouvrage. Il fixa une dernièrefois le regard sur ce journal et lut d'une voix sourde et émue:

«On y rencontre l'or presque à la surface de la terre, et en si grandeabondance, qu'on n'a qu'à se baisser pour ramasser des trésors. Unmatelot a trouvé dernièrement une pépite ou morceau d'or pesantplus de vingt livres et d'une valeur d'au moins vingt-cinq millefrancs.»

Un soupir s'échappa de la poitrine du commis, et il leva vers le ciel unregard chagrin.

Quelqu'un ouvrit la porte du bureau. C'était un jeune homme assezsolidement bâti, aux joues rouges, aux yeux noirs et étincelants; surson visage ouvert brillaient la santé et la bonne humeur.

—Jean, mon ami, tu seras grondé, dit l'autre. Monsieur est déjà venu aubureau, et il a manifesté son mécontentement de ton absence.

—Bah! cela m'importe peu, mon bon Victor, répondit Jean d'un tontriomphant. C'est décidé: je dis adieu au métier de gratte-papier et àcette obscure prison où j'ai si sottement usé les plus belles années dema vie. Hourra! Je vais courir le monde, libre comme un oiseau, et nereconnaissant plus d'autre maître que Dieu et le sort!

—Que veux tu dire? demanda son camarade stupéfait.

—Ce que je veux dire? reprit Jean en tirant un papier plié de sa poche.Voici le prospectus d'une société française, la Californienne; elle afait faire toutes sortes d'instruments pour exploiter les meilleuresmines d'or en Californie. Là où l'on peut ramasser avec les mains lemétal le plus précieux, elle recueillera l'or par monceaux avec desoutils excellents et des procédés perfectionnés. Peut deveniractionnaire qui veut. Moyennant deux mille francs, on obtient unetraversée libre sur un vaisseau de la société, comme passager de secondeclasse, et on reçoit deux actions qui donnent droit à une double part del'or recueilli. Là-bas, en Californie, on n'a à s'inquiéter de rien, lasociété procure à ses membres une bonne nourriture et des maisons debois confortables. Comme passager de troisième classe, on ne verse quedouze cents francs; mais on ne reçoit alors qu'une seule action. Monpère a consenti à sacrifier deux mille francs. Je deviendrai actionnairede la Californienne! Le navire le Jonas est équipé par laCalifornienne; dans quinze jours, il partira d'Anvers pour le pays del'or. La société envoie encore quatre vaisseaux en Californie, entreautres un du Havre de Grâce, avec les outils et les directeurs, quidoivent déjà être en mer pour recevoir là-bas les actionnaires.

Victor regarda son camarade avec des yeux étincelants. Ce qu'ilentendait le frappait de stupeur; car un sourire d'admiration illuminaitson vi

...

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