GEORGE SAND

PAULINE

NOTICE

J'avais commencé ce roman en 1832, à Paris, dans une mansarde où je meplaisais beaucoup. Le manuscrit s'égara: je crus l'avoir jeté au feupar mégarde, et comme, au bout de trois jours, je ne me souvenais déjàplus de ce que j'avais voulu faire (ceci n'est pas mépris de l'art nilégèreté à l'endroit du public, mais infirmité véritable), je nesongeai point à recommencer. Au bout de dix ans environ, en ouvrant unin-quarto à la campagne, j'y retrouvai la moitié d'un volumemanuscrit intitulé Pauline. J'eus peine à reconnaître mon écriture,tant elle était meilleure que celle d'aujourd'hui. Est-ce que cela nevous est pas souvent arrivé à vous-même, de retrouver toute laspontanéité de votre jeunesse et tous les souvenirs du passé dans lanetteté d'une majuscule et dans le laisser-aller d'une ponctuation? Etles fautes d'orthographe que tout le monde fait, et dont on se corrigetard, quand on s'en corrige, est-ce qu'elles ne repassent pasquelquefois sous vos yeux comme de vieux visages amis? En relisant cemanuscrit, la mémoire de la première donnée me revint aussitôt, etj'écrivis le reste sans incertitude.

Sans attacher aucune importance à cette courte peinture de l'espritprovincial, je ne crois pas avoir faussé les caractères donnés par lessituations; et la morale du conte, s'il faut en trouver une, c'est quel'extrême gêne et l'extrême souffrance, sont un terrible milieu pourla jeunesse et la beauté. Un peu de goût, un peu d'art, un peu depoésie ne seraient point incompatibles, même au fond des provinces,avec les vertus austères de la médiocrité; mais il ne faut pas que lamédiocrité touche à la détresse; c'est là une situation que ni l'hommeni la femme, ni la vieillesse ni la jeunesse, ni même l'âge mûr, nepeuvent regarder comme le développement normal de la destinéeprovidentielle.

GEORGE SAND.

20 mars 1859

PAULINE

I.

Il y a trois ans, il arriva à Saint-Front, petite ville fort laide quiest située dans nos environs et que je ne vous engage pas à cherchersur la carte, même sur celle de Cassini, une aventure qui fit beaucoupjaser, quoiqu'elle n'eût rien de bien intéressant par elle-même, maisdont les suites furent fort graves, quoiqu'on n'en ait rien su.

C'était par une nuit sombre et par une pluie froide. Une chaise deposte entra dans la cour de l'auberge du Lion couronné. Une voix defemme demanda des chevaux, vite, vite!… Le postillon vint luirépondre fort lentement que cela était facile à dire; qu'il n'y avaitpas de chevaux, vu que l'épidémie (cette même épidémie qui est enpermanence dans certains relais sur les routes peu fréquentées) enavait enlevé trente-sept la semaine dernière; qu'enfin on pourraitpartir dans la nuit, mais qu'il fallait attendre que l'attelage quivenait de conduire la patache fût un peu rafraîchi. — Cela sera-t-ilbien long? demanda le laquais empaqueté de fourrures qui étaitinstallé sur le siège. — C'est l'affaire d'une heure, répondit lepostillon à demi débotté; nous allons nous mettre tout de suite àmanger l'avoine.

Le domestique jura; une jeune et jolie femme de chambre qui avançait àla portière sa tête entourée de foulards en désordre, murmura je nesais quelle plainte touchante sur l'ennui et la fatigue des voyages.Quant à la personne qu'escortaient ces deux laquais, elle descenditlentement sur le pavé humide et froid, secoua sa pelisse doublée demartre, et prit le chemin de la cuisine sans proférer une seuleparole.

C'était u

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