PARIS
G. CHARPENTIER ET Cie, ÉDITEURS
1884
Il n'existe pas d'ouvrage d'ensemble sur lamise en scène; c'est donc sans fausse modestieque j'ai donné le titre d'Essai à cetteétude. Ceux qui, après moi, s'intéresseront à cesujet et voudront le traiter de nouveau aurontsans doute à combler quelques lacunes, à compléterou à rectifier quelques-unes des théoriesexposées et peut-être à pousser plus loin et endifférents sens leurs investigations.
Au premier abord, le sujet paraît simple ettrès limité; mais plus on y réfléchit, plus il apparaîttel qu'il est en réalité, complexe et d'uneétendue infinie. Pour beaucoup de personnesil se résume dans une question toute matérielle;et la mise en scène se réduit au plus ou moinsde splendeur apportée à la représentation d'unouvrage dramatique, au plus ou moins de richessedes costumes et à une plus ou moinsnombreuse figuration. Ce ne sont là cependantque les dehors les plus apparents du sujet, car,en y regardant bien, la mise en scène se confondpresque avec l'art dramatique, et c'estdans le cerveau même du poète qu'il faudrait encommencer l'étude.
Toutefois, il y a là une ligne de partage asseznettement tracée: d'un côté, l'art dramatique,c'est-à-dire tout ce qui est l'oeuvre propre dupoète; de l'autre, la mise en scène, c'est-à-direce qui est l'oeuvre commune de tous ceux qui,à un degré quelconque, concourent à la représentation.Sans doute ces deux arts se pénètrentréciproquement. Quand le poète se préoccupede dispositions scéniques, qui ne se déduisentpas nécessairement des caractères et des passions,il fait de l'art théâtral; quand un comédienmet en relief certains sentiments auxquelsl'auteur n'avait pas tout d'abord accordé uneimportance suffisante, il fait de l'art dramatique.Cependant, comme il est nécessaire que tout sujetsoit délimité, je maintiendrai la distinctionau moins apparente qui sépare l'art dramatiquede l'art théâtral. Cette étude commence donc aumoment où le poète a terminé son oeuvre.
Ainsi limitée, elle est encore fort complexe;elle comprend la recherche de l'effet général quedoit produire la représentation et la déterminationdes effets particuliers des actes et des tableaux,dans lesquels se décomposent la pièce. Il faut doncarrêter le caractère pittoresque de la décoration,son plus ou moins de relief et de profondeur,etc. L'artiste chargé d'exécuter une décorationen trace d'abord une vue d'ensemble surun plan vertical, qu'il suppose place dans l'encadrementde la scène à la place du rideau.Ensuite il exécute la maquette, c'est-à-dire uneréduction du décor tel qu'il doit être disposé surle plan géométral. Le public a pu voir dansplusieurs expositions quelques maquettes célèbres,conservées à la bibliothèque de l'Opéra.Pendant que les peintres préparent et brossentles décors, on monte la pièce. L'opération préliminaire,qui est la distribution des rôles, estpeut-être la plus importante, car le succès définitifen dépend. Une fois les rôles distribués,chaque acteur apprend le sien. La conceptionet la composition d'un rôle imposent à l'acteurqui en est chargé un labeur considérable et ungrand effort subjectif. Quand tous les rôles sontsus, on les assemble; alors commence le travaillong et minutieux des répétitions, car on sepropose d'arriver à une harmonie générale et àun ensemble, qui souvent, à défaut d'acteurs depremier ordre, suffisent à assurer le succès. Telrôle doit être éteint, tel autre doit être au contraireplus accentué. En même temps, on étudie lesmouvements scéniques; on détermine les placessuccessives que les personnages doivent occuperles uns par rapport aux