COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE
REVUE MENSUELLE
XXIII
COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR
M. DE LAMARTINE
PARIS
ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR,
9, RUE CAMBACÉRÈS (ANCIENNE RUE DE LA VILLE-L'ÉVÊQUE, 48)
1867
Mais revenons aux chasseurs, ce chef-d'œuvre de Tourgueneff. C'estaussi l'impression de leur excellent traducteur M. de Lavau. Voicicomment il le juge dans sa préface:
(p. 6) Le lecteur doit comprendre maintenant pourquoi j'ai pris larésolution de traduire les Récits d'un Chasseur; il seraitparfaitement inutile d'insister sur ce point. Cependant, je croisnécessaire d'observer que, connaissant la difficulté d'un travail dece genre, je ne me serais peut-être point décidé à l'entreprendre sil'auteur lui-même ne m'y avait encouragé. Est-il besoin d'ajouterqu'au lieu de suivre le procédé un peu trop commode de M. Charrière,je me suis soumis de tout point aux devoirs qu'imposent les modestesfonctions de traducteur. On peut être assuré de ne trouver dans cespages rien qui n'appartienne à l'auteur. Si j'y ai ajouté quoi que cesoit de ma façon, ce sont les fautes qui ont échappé à mon attention.Enfin, comme il aurait pu se rencontrer néanmoins de par le monde desesprits assez disposés à m'adresser les accusations que M. Charrières'est volontairement attirées, j'ai prié l'auteur de revoirattentivement mon travail, et il s'est prêté à ma demande avecbeaucoup d'obligeance; il a même consenti à rétablir quelques passagesqu'il avait cru devoir prudemment supprimer dans l'œuvre originaleet qui, par un cachet particulier de vérité, ajoutent encore à l'effetqu'elle produit dans son ensemble.
La pensée qui a inspiré cette composition est digne d'éloges. LesRécits d'un Chasseur sont principalement destinés à nous dépeindrel'intéressante population qui, à la honte de notre siècle, est encorecourbée en Russie sous le joug odieux du servage. On y rencontre bienquelques petits seigneurs campagnards; mais ils se trouvent placés ausecond plan; tout l'intérêt est concentré sur les hommes qui viventdans leur dépendance. Chacun applaudira sans doute au courage del'écrivain qui, sous le régime ombrageux alors (p. 7) dans toute savigueur[1] en Russie, n'a pas craint de consacrer sa plume à unepareille entreprise. Avant lui, personne n'avait osé la tenter; lemonde au milieu duquel il nous introduit était une région inconnuepour la littérature russe.
Quoiqu'on puisse considérer les Récits d'un Chasseur comme unéloquent plaidoyer en faveur de l'affranchissement des serfs, l'auteurn'a nullement cherché à donner une idée favorable du paysan russe.Gardons-nous de le supposer; il n'a point dissimulé les défauts de sonmodèle. Les portraits qui composent ce volume sont d'une ressemblanceparfaite, et aucun des nombreux imitateurs que M. Tourgueneff compteactuellement en Russie ne peut, à cet égard, lui être comparé. Si unelecture attentive des Récits d'un Chasseur inspire une profondeaversion pour les droits dont disposent les seigneurs russes, ce n'estpoint M. Tourgueneff qu'il faut en accuser; il s'est borné à retracerconsciencieusement