Notes au lecteur de ce ficher digital:
Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont étécorrigées.
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PARIS
ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR,
RUE DE LA VILLE L'ÉVÊQUE, 43.
1856
L'auteur se réserve le droit de traduction et de reproduction àl'étranger.
REVUE MENSUELLE.
Paris.—Typographie de Firmin Didot frères, rue Jacob, 56.
Raunheim d'après Adam Salomon.
Imp. Lemercier, Paris
«Toutes les choses sont en germe dans les paroles.»
(Poète et philosophe indien.)
Avant de vous donner la définition de la littérature, je voudrais vousen donner le sentiment. À moins d'être une pure intelligence, on necomprend bien que ce qu'on a senti.
Cicéron, le plus littéraire de tous les hommes qui ont jamais existésur la terre, a écrit une phrase magnifique, à immensescirconvolutions de mots sonores comme le galop du cheval de Virgile,sur les utilités et les délices (p. 006) des lettres. Cette bellephrase est depuis des siècles dans la bouche de tous les maîtres quienseignent leur art et dans l'oreille de tous les enfants; je ne vousla répéterai pas, toute belle qu'elle soit, parce qu'elle nelaisserait qu'une vaine rotondité de période et une vaine cadence demots dans votre mémoire. J'aime mieux vous la traduire en récit, enimages et en sentiments, afin que le récit, l'image et le sentiment lafassent pénétrer en vous par les trois pores de votre âme: l'intérêt,l'imagination et le cœur; et afin aussi qu'en voyant comment j'aiconçu moi-même, en moi, l'impression de ce qu'on appelle littérature,comment cette impression y est devenue passion dans un âge etconsolation dans un autre âge, vous contractiez vous-même le sentimentlittéraire, ce résumé de tous les beaux sentiments dans l'hommeparvenu à la perfection de sa nature.
Permettez-moi donc un retour intime avec vous sur mes premières et surmes dernières années. Je ne professe pas avec vous, je cause, et sil'abandon de la conversation m'entraîne vers quelques-uns de messouvenirs, je ne m'abstiens ni de m'y reposer un moment avec (p. 007)vous, ni d'allonger le chemin en prenant ces sentiers, quand cessentiers ramènent indirectement mais agréablement à la route.
La contrée où je suis né, bien qu'elle soit voisine du cours de laSaône, où se réfléchissent d'un côté les Alpes lointaines, de l'autredes villes opulentes et les plus riants villages de France, est arideet triste; des collines grises, où la roche nue perce un sol maigre,s'interposent entre nos hameaux et le grand horizon de la Saône, de laBresse, du Jura et des Alpes, délices des yeux du voyageur qui suit larive du fleuve.
De petits villages s'élèvent çà et là aux pieds ou sur les flancsrapides de ces collines; leurs murs blancs, leurs toits plats, leurstuiles rouges, leur clochers de pierres noirâtres semblables à desimitation