Après avoir, dans les commencements de larévolution, suivi son mari en pays étranger, madamed'Aubecourt était revenue en France, en1796, avec ses deux enfants, Alphonse et Lucie;comme elle n'était point sur la liste des émigrés,elle pouvait s'y montrer sans danger, et s'occuperd'obtenir pour son mari la permission de revenir.Elle demeura deux ans à Paris dans cette espérance:enfin, ne pouvant réussir à ce qu'elle désirait,et ses amis l'assurant que le moment n'étaitpas favorable pour solliciter, elle se décida àquitter Paris et à se rendre dans la terre de sonbeau-père, le vieux M. d'Aubecourt, chez qui sonmari désirait qu'elle habitât en attendant qu'ilpût se réunir à elle; d'ailleurs, madame d'Aubecourtn'ayant d'autre ressource que l'argent quelui envoyait son beau-père, elle était bien aisede diminuer la dépense qu'elle lui causait, enallant vivre près de lui. Toutes les lettres deM. d'Aubecourt le père à sa belle-fille étaient rempliesde plaintes sur la dureté des temps, sur sonobstination à suivre des démarches inutiles, àquoi il ne manquait jamais d'ajouter que, pourlui, il lui serait bien impossible de vivre à Paris,ayant déjà assez de peine à se tirer d'affairechez lui, où il mangeait ses choux et ses pommesde terre. Ce n'était pas qu'il ne fût assez riche;mais il était disposé à se tourmenter sur sa dépense;et madame d'Aubecourt, quelle que fûtl'extrême économie avec laquelle elle vivait àParis, vit bien qu'elle ne pourrait le tranquilliserqu'en allant vivre sous ses yeux.
Elle partit avec ses enfants au mois de janvier1799, pour se rendre à Guicheville; c'était lenom de la terre de M. d'Aubecourt. Alphonseavait alors quatorze ans, et Lucie près de douze:renfermés depuis deux ans à Paris, où leurmère, accablée d'affaires, ne pouvait guère s'occuperd'eux, ils furent enchantés de partir pourla campagne, et s'inquiétèrent fort peu de ce queleur dit madame d'Aubecourt sur les précautionsqu'ils auraient à prendre pour ne pas importuneret impatienter leur grand-père, que l'âge et lagoutte portaient assez habituellement au mécontentementet à la tristesse. Ils montèrent pleinsde joie dans la diligence; cependant, à mesureque le froid les gagnait, leurs idées se rembrunissaient.Une nuit passée en voiture acheva deles abattre; et quand ils arrivèrent le lendemainau soir à l'endroit où ils devaient quitter la diligence,ils se sentaient le coeur serré comme sidepuis la veille il leur était arrivé un grand malheur.Il fallait faire encore une lieue pour arriverà Guicheville; il fallait la faire à pied, à traversune campagne couverte de neige, carM. d'Aubecourt n'avait envoyé au-devant d'euxqu'un paysan accompagné d'un âne pour porterleurs paquets. Quand il proposa de partir, Lucie,d'un air effrayé, regarda sa mère comme pour luidemander si cela était possible. Madame d'Aubecourtlui fit observer que puisque leur conducteurétait bien venu de Guicheville à l'endroit où ellesétaient, rien ne s'opposait à ce que de l'endroitoù elles étaient elles allassent à Guicheville.
Pour Alphonse, du moment où il avait retrouvéla liberté de ses jambes, il av