LA FILLE DE

DOSIA

PAR

HENRY GRÉVILLE


(Extrait du quotidien "La Patrie",
éditions de juin à août 1879.)



I

C'était au camp de Krasnoé-Sélo, à quelques kilomètres de Pétersbourg.

On finissait de dîner au mess des gardes à cheval. Les jeunesofficiers avaient célébré la fête de l'un d'entre eux, et la sociétéétait montée à ce joyeux diapason qui suit les bons repas.

La dernière tournée de vin de Champagne circulait autour de la table. Latente du mess, relevée d'un côté, laissait entrer les derniers rayonsd'un beau soleil de juin: il pouvait être neuf heures du soir, lapoussière, soulevée tout le jour par les pieds des chevaux et del'infanterie, redescendait lentement sur la terre faisant un nimbe d'orau camp tout entier.

Vers le petit théâtre d'été, où la jeunesse se désennuie de son exilmilitaire, roulaient de nombreuses calèches, emportant les officiersmariés avec leurs femmes; les petits drochkis, égoïstes, étroits commeun fourreau d'épée, sur lesquels perche un jeune officier,--voiturant leplus souvent un camarade sur ses genoux, faute de place pour l'asseoir àson côté,--prenaient les devants et déposaient leur fardeau sur leperron de la salle de spectacle.

Cette joyeuse file d'équipages roulait incessamment de l'autre côté dela place; mais la représentation de ce soir-là ne devait pas êtreembellie par les casquettes blanches à liséré rouge: MM. les gardes àcheval avaient décidé de clore la soirée au mess. On y était si bien! Delarges potiches de Chine ventrues laissaient échapper des bouquets enfeu d'artifice; des pyramides de fruits s'entassaient dans les coupes decristal; les tambours étaient copieusement garnis de bonbons, et defruits confits,--tout officier de dix-huit ans est doublé d'un bébé,amateur de friandises;--de grands massifs d'arbustes à la sombre verdurecachaient les pieux qui soutenaient la tente...; bref, ces jeunes gens,dont beaucoup étaient millionnaires, s'étaient arrangés pour trouvertous les jours au camp un écho de leur riche intérieur citadin, et ils yavaient réussi. D'ailleurs quand pour un dîner d'amis on se cotise àdeux cents francs par tête, c'est bien le moins qu'on dîneconfortablement.

--Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille? fredonna le héros dela fête, en se laissant aller paresseusement sur sa chaise, pendantqu'on servait le café et les cigares.

--Vous êtes ma famille, mes chers amis, ma famille patriotique, mafamille d'été, s'entend, car pour les autres saisons j'ai une autrefamille! continua-t-il en riant de ce rire gras et satisfait qui dénoteune petite, toute petite pointe.

Les camarades lui répondirent par un choeur d'éclats de rire etd'exclamations joyeuses.

--J'ai même une famille pour chaque saison, reprit Pierre Mourief avecla même bonne humeur. J'ai ma famille de Pétersbourg pour l'hiver; mafamille de Kazan pour la chasse... l'automne, veux-je dire; ma familledu Ladoga pour le printemps...

--La saison des nids et des amours! jeta un interlocuteur un peu gai.

Le colonel, qui avait assisté au dîner,--il était l'ami de toute cettebelle jeunesse, jugea que le moment était venu de se retirer, et reculason siège. Les vieux officiers, au nombre de quatre ou cinq l'imitèrent.

--Vous vous en allez, colonel? s'écria Pierre en s'appuyant des deuxmains sur la table. C'est une défection! le colonel qui fuit devantl'ennemi!... Eh! vous autres, le punch!... cria-t-il en russe auxsoldats de service. Présentons l'ennemi au colonel, il n'osera pasabandonner son drapeau.

--J'ai un rendez-vous d'affaire, dit en souriant le chef du régiment,vous voudrez bien m'excuser... C'est très sérieux! ajouta-t-il d

...

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