LES ŒUVRES INÉDITES

PIERRE MILLE

Histoires Exotiques
et
Merveilleuses

PARIS
J. FERENCZI, ÉDITEUR
9, RUE ANTOINE-CHANTIN (XIVe)

1920

Copyright by J. Ferenczi

Histoires Exotiques et Merveilleuses

HANOUMANE

La petite Nâne venait d’entrer, derrière samaman, dans la cabine qui leur était réservéesur le Polynésien. Tout de suite elle prononça,de son étrange petite voix nette, très décidée,presque impérieuse, et où traînait cet indéfinissableaccent que prennent les enfants européensélevés parmi des serviteurs indigènes :

— C’est ça les maisons, c’est ça les chambresen France ? Eh bien, c’est vilain !

Et se retournant vers Ti-Haï, sa vieille ba-hiaannamite, elle dit :

— Où ça y en a moyen jouer ?

— Tu joueras sur le pont, répondit sa mère ;il y a beaucoup de place sur le pont… et dansla batterie aussi, c’est tout à fait la place pourles petites filles, la batterie.

Un frisson, pendant qu’elle parlait, venait delui glacer les veines, malgré la chaleur mouilléede cette fin de journée saïgonnaise ; elleavait si peur de ce voyage, si peur ! Elle serappelait l’autre, sa première petite Jeanne,qu’un coup de roulis avait précipitée dansl’Océan Indien, six années auparavant, commeelle retournait à Madagascar avec son mari ;on n’avait même pas retrouvé son corps, cecorps léger d’enfant, tranché peut-être d’unseul coup par l’hélice aux ailes d’acier… Oui,le demi-jour de la batterie, ceinte de tous côtéspar les cabines, offrait plus de sécurité quele pont des premières, au-dessus des vaguesperfides. Pour cacher son émotion, sa voixblâma :

— Je t’ai déjà dit de ne pas parler annamite !Tu es une petite fille française, qui va en France.Tu verras comme on se moquera de toi, enFrance !

— Je ne parle pas annamite, répondit Nâne,je parle à Ti-Haï le français qu’elle comprend…Et puis, je ne veux pas aller en France, moi !J’aime mieux Tra-Mon ; à Tra-Mon, il y avaitun grand jardin, il y avait des arbres, et Hânoumanen’était pas dans une cage, comme ici !Ici, c’est laid, c’est petit, c’est vilain !

Et elle frappa du pied, sans pleurer, seulementoffensée de l’injustice des choses.

Le sort ne l’y avait point accoutumée. Depuissa naissance, elle goûtait la vie radieusedes petits enfants dans nos colonies. A Madagascar,les porteurs se disputaient son filanzane,la petite chaise en osier tressée tout exprèspour elle, assise sur deux montants debois flexible et dur, que deux bourjanes aumufle pacifique de bons animaux mettaient surleurs épaules en riant du peu de poids que lachance leur imposait. Et ce n’était pas seulementleur paresse qui s’ébaudissait. C’était àcause du plaisir, à cause de l’honneur ! Nâneétait la petite fille aux cheveux couleur-de-lune :un petit être précieux, sans doute d’originecéleste, une rareté comme ils n’en avaientpoint vue encore ! Et, sur leur passage, lesfemmes malgaches accouraient ; elles leur donnaientdes œufs, des morceaux de canne àsucre dont le jus ruisselant flattait leur gourmandise ;elles se seraient données elles-mêmespour avoir le droit de tâter cette chevelure« comme les vers à soie n’en font pas », de voirde plus près ces joues claires, transparentes etroses, comme l’oreille d’un petit coquillage. Etquand Nâne parlait, ces femmes demandaientardemment : « Qu’est-ce qu’elle veut, ô Rakoutou ;qu’est-ce qu’elle veut, ô Lémaza ? Dis-nousce qu’elle désire, la ramatoua-kély-fouts

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