Note du transcripteur.
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Ce document est tiré de:
OEUVRES COMPLÈTES DE
SHAKSPEARE
TRADUCTION DE
M. GUIZOT
NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE
AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
Volume 3
Timon d'Athènes
Le Jour des Rois.—Les deux gentilshommes de Vérone.
Roméo et Juliette.—Le Songe d'une nuit d'été.
Tout est bien qui finit bien.
PARIS
A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS
1864
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Deux grandes familles de Vérone, les Montecchi et les Capelletti(les Montaigu et les Capulet), vivaient depuis longtemps dans uneinimitié qui avait souvent donné lieu, dans les rues, à des combatssanglants. Alberto della Scala, second capitaine perpétuel de Vérone,avait inutilement travaillé à les réconcilier; mais du moins était-ilparvenu à les contenir de telle sorte que lorsqu'ils se rencontraient,dit l'historien de Vérone, Girolamo della Corte, «les plus jeunescédaient le pas aux plus âgés, ils se saluaient et se rendaient lesalut.»
En 1303, sous Bartolommeo della Scala, élu capitaine perpétuelaprès la mort de son père Alberto, Antonio Cappelletto, chef de safaction, donna, dans le carnaval, une grande fête, à laquelle il invitaune partie de la noblesse de Vérone. Roméo Montecchio, âgé de vingtà vingt et un ans, et l'un des plus beaux et des plus aimables jeunesgens de la ville; s'y rendit masqué avec quelques-uns de ses amis. Aubout de quelque temps, ayant ôté son masque, il s'assit dans un coind'où il pouvait voir et être vu. On s'étonna beaucoup de la hardiesseavec laquelle il venait ainsi au milieu de ses ennemis. Cependant,comme il était jeune et de manières agréables, ceux-ci, dit l'historien,«n'y firent pas autant d'attention qu'ils en auraient fait peut-êtres'il eût été plus âgé.» Ses yeux et ceux de Juliette Cappellettose rencontrèrent bientôt, et, frappés également d'admiration, ils necessèrent plus de se regarder. La fête s'étant terminée par une danseappelée chez nous, dit Girolamo, «la danse du chapeau» (dal cappello),une dame vint prendre Roméo, qui, se trouvant ainsi introduitdans la danse, après avoir fait quelques tours avec sa danseuse, laquitta pour aller prendre Juliette, qui dansait avec un autre. Aussitôtqu'elle l'eût senti lui toucher la main, elle lui dit: «Bénie soit votrevenue!» Et lui, lui serrant la main, répondit: «Quelles bénédictionsen recevez-vous, madame?» Et elle reprit en souriant:«Ne vous étonnez pas, seigneur, si je bénis votre venue; M. Mercutioétait là depuis longtemps à me glacer, et par votre politessevous êtes venu me réchauffer.» (Ce jeune homme, qui s'appelaitMercutio, dit le louche, et que l'agrément de son esprit faisait aimerde tout le monde, avait toujours eu les mains plus froides que laglace.) A ces mots, Roméo répondit: «Je suis grandement heureuxde vous rendre service en quoi que ce soit.» Comme la danse finissait,Juliette ne put dire que ces mots: «Hélas! je suis plus à vousqu'à moi-même.»
Romé