[Note du transcripteur: l'orthographe originale de Fouché est conservée]
Jamais peut-être aucun ouvrage sur les événemens comtemporains n'a étéattendu et désiré aussi impatiemment que cette seconde partie desMémoires posthumes de l'ex-ministre Fouché, duc d'Otrante. Au moment oùparut le premier volume de ces Mémoires accueillis avec tantd'empressement et de curiosité, j'annonçai moi-même au public que lasuite serait bientôt mise au jour. L'impatience fut d'autant plus viveque l'intérêt de cette seconde partie ne pouvait manquer de surpassercelui qu'offrait déjà la première, puisqu'elle traite d'une période plusdifficile et plus épineuse sous le point de vue politique. Je nesoupçonnais pas alors que cette annonce put réveiller les craintes tropsusceptibles de certaines personnes sur ce complément des révélations duduc d'Otrante. Pouvais-je m'attendre qu'elle m'entraînerait, commeéditeur, dans un procès en action civile, dont ni le public ni moin'avons pu d'abord apprécier les vrais motifs? Ce procès m'est suscitépar les héritiers d'Otrante. Ils n'ont pourtant point à venger lamémoire de leur père, qui lui-même a pris soin de justifier sa conduitepolitique; ils n'ont pas non plus à défendre leurs intérêts dont aucunn'est compromis. Je ne puis donc attribuer qu'à des suggestionsétrangères l'action judiciaire qu'ils m'intentent.
Quant à moi, fort de la justice de ma cause, tranquille sous l'égide deslois protectrices de la propriété littéraire, je n'hésite donc pas àdéposer sur le tribunal de mes juges ce complément de mon corps dedélit imaginaire. La culpabilité de ces deux parties, s'il pouvait enexister quelques traces, serait d'ailleurs identique, et dans l'unecomme dans l'autre, je suis certain de n'avoir blessé, ni les lois, nile gouvernement, ni les convenances individuelles. Voilà ce qu'établiravictorieusement dans son plaidoyer l'éloquent et habile avocat qui abien voulu se charger de ma cause. Elle est remise aux soins de M.Berryer fils; je me présente donc avec confiance devant mes juges, et jesoumets à leur équité et à leurs lumières l'ensemble de ces Mémoires.
Je m'impose une tâche grande et forte en m'offrant de nouveau à toute lasévérité d'une investigation publique; mais c'est pour moi un devoir dechercher à détruire les préventions de l'esprit de parti et lesimpressions de la haine. Du reste, j'ai peu d'espoir que la voix de laraison puisse se faire entendre au milieu des clameurs de deux factionsacharnées qui divisent le monde politique. N'importe, ce n'est pas pourle temps d'aujourd'hui que je raconte; c'est pour un temps plus calme. Aprésent, que ma destinée s'accomplisse! Et quelle destinée, grand Dieu!Que me reste-t-il de tant de grandeurs et d'un si énorme pouvoir, dontje n'abusai jamais que pour éviter de plus grands maux? Ce que je prisele moins, ce que j'amassai pour d'autres, me reste: à moi, qui, par mesgoûts simples, eût pu me passer de richesses; à moi qui n'apportai dansles splendeurs que la réserve d'un sage et la sobriété d'un anachorète!Tour-à-tour puissant, redouté ou dans la disgrâce, je recherchail'autorité, il e