Rien n'est plus doux que le spectacle d'un bonheur vrai, d'une joiesincère: le cœur s'y dilate et se laisse gagner par la contagion. Sousles lambris des riches, de pareilles émotions sont rares et presquetoujours troublées. Le plaisir s'y mélange d'amertume, l'intrigue yverse ses poisons, les passions y effeuillent leurs soucis. On prend sivolontiers l'agitation pour le contentement et l'ombre du bonheur pourle bonheur même! Chez les pauvres gens, point de ces fictions. A quoipourrait servir un masque quand on n'a personne à tromper? Aussi leursjoies sont-elles plus réelles, et en même temps plus vives. Il en est decela comme de leur sommeil que la fatigue rend plus profond.
Ces vérités, qui ne sont, hélas! comme beaucoup d'autres vérités, nineuves ni consolantes, n'ont d'autre but que d'expliquer certain air defête dont se décorait, le 20 mars 1841, une loge de concierge, situéedans le haut du faubourg du Roule. Cette loge occupait en partie lerez-de-chaussée d'un avant-corps de bâtiment qui allait rejoindre, pardes constructions latérales, un fort bel hôtel assis entre cour etjardin. Quoique la nuit fût venue, il était facile de distinguer, à lalueur de deux becs de gaz, un perron demi-circulaire, sur lequels'ouvraient des salons somptueux. Mais ce côté de l'habitation demeuraitalors plonge dans l'immobilité et le silence: la loge seule s'éclairaitde lueurs inaccoutumées et retentissait de bruits étranges. Auxondulations inégales de la flamme on aurait pu redouter un commencementd'incendie si des arômes significatifs, joints à un grésillement sonore,n'eussent éloigné toute idée de péril et trahi; le secret de cetintérieur.
Il y avait gala chez le concierge Falempin, ex-sergent aux grenadiers dela garde impériale, et, en épouse pénétrée de ses devoirs, madameFalempin, cantinière émérite, surveillait d'un œil vigilant ethumectait avec sollicitude l'un des plus beaux dindonneaux qui eussentjamais paru sur les éventaires du marché de la Vallée. Loin de sedéprimer sous l'action du feu, les flancs de la victime semblaient s'ynourrir d'une substance nouvelle, grâce au cortège des préparations etingrédients accessoires. Il faut dire que l'art de la cuisine n'avaitpoint de mystères pour la mère Falempin: c'était une si brillante écoleque celle de la grande-armée, quand la victoire lui tenait lieud'ordinaire! L'ex-cantinière se rattachait à ces traditions, aujourd'huibien méconnues; elle avait peu de recettes, mais ces recettes dataientde la glorieuse époque. Personne ne rôtissait comme elle; la guerreavait fait éclore ce talent, et comme il s'était exercé d'abord sur desanimaux généralement réfractaires, en Espagne sur des rats, en Russiesur du cheval, la mère Falempin, rendue aux fourneaux civils, avaitabordé le rôt usuel en se louant et avec cette aisance que donnel'habitude de la difficulté vaincue. Aussi était-ce plaisir de voirarriver à point la pièce soumise en ce moment à sa vieille expérience.Les tons roux s'y distribuaient d'une manière uniforme, sansinterruption comme sans excès, et un parfum savoureux qui s'exhalait del'âtre témoignait que les résultats étaient à la hauteur des procédés.
Cette scène n'avait encore qu'un seul témoin; il est vrai qu'il envalait mille pour la part qu'il y prenait. C'était un gros garçon devingt-cinq ans, vêtu en ouvrier, robuste d'ailleurs, bien découplé, hauten couleurs et de bonne mine. Pendant que la mère Falempin essuyait avecson tablier son front ruisselant de sueur et rajustait sa coiffe, d'oùs'échappaient en désordre quelques mèches de che