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Enregistré conformément à l'acte du Parlement du Canada, en
l'année mil huit cent quatre-vingt quatre par L. P. Le May,
au bureau du Ministre d'Agriculture.
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Il y a vingt ans les chemins de fer ne sillonnaientpas, comme aujourd'hui, les immenses prairiesde l'ouest, et les voyageurs traversaient, à chevalou à pied, la zone étonnante qui se déroule desbords du Mississipi aux montagnes rocheuses.Tantôt, dans la glauque prairie sans bornes, unecaravane passait comme un tourbillon et s'estompaitsur l'horizon, comme le bronze d'un bas-reliefsur la corniche d'un temple; tantôt un chasseur,débarrassé du joug qu'impose la société des hommes,cheminait seul, au hasard, buvant à lafontaine et dormant sur le foin vert, à la merci duciel, avec les fauves et les oiseaux.
Les blancs sortaient de leurs villages et lesindiens sortaient de leurs montagnes, pour venirdans ces plaines chasser le buffle roux, et quelquefois des combats singuliers, plus souvent des engagementsterribles, entre les bandes jalouses,arrosaient de sang le sol encore vierge.
Nul écho ne répétait les clameurs des combattants,les éclats des mousquets, les plaintes desvaincus, les chants des vainqueurs. Tous lesbruits s'éteignaient dans l'air morne; la solitudegardait ses secrets. Cependant le trappeur quicollait son oreille au gazon, pour interroger le désert,entendait d'étranges murmures, et des tasd'ossements blanchis proclamaient, en ces lieuxcomme ailleurs, la malice des hommes.
Un jour du mois de juillet de l'année 18--, unindien s'en allait à travers la prairie, le fusil surl'épaule, le regard fixé sur la chaîne des montagnesrocheuses dont les pics s'enfonçaient comme unedentelure noire dans la lumière du ciel. Une jeunefille le suivait. Elle marchait avec peine et selaissait distancer souvent. Il l'attendait de momenten moment, sans murmurer, mais sans luidire ces paroles d'encouragement qui font tant debien à l'âme.
De temps en temps la jeune fille pleurait et, durevers de sa main, elle essuyait les larmes du chagrinqui se mêlaient aux sueurs de la fatigue.
Elle pouvait être l'enfant de cet homme qu'elleaccompagnait, mais la blancheur de son teint, l'éclatde son oeil bleu, la régularité de ses traits,disaient qu'elle n'était pas indienne. D'où venait-elleet pourquoi si jeune et tout étrangère aux coutumeset au langage de l'habitant des bois, avait-ellelaissé sa famille et son village pour suivre lespas de ce chasseur? Il n'était point beau. Sonvisage plat et sans barbe, sa bouche largementfendue, sa peau cuivrée, ses cheveux rudes quitombaient en mèches inégales, n'en pouvaient faireun séducteur bien redoutable. Avait-il, par forceou par ruse, ravi cette fille à ses parents? Avait-ellevolontairement déserté le toit paternel pourvivre la licencieuse existence sauvage? Il étaitbien coupable ou elle était bien perverse.
Le soleil semblait toucher déjà l'une des cimeséloignées, et lui faire un nimbe d'or. Ses refletsmoins chauds glissaient obliquement sur les flotsde verdure qu'agitait le souffle du soir. La prairierayonnait comme une