NOTE: L'épisode qui précède Comte du Pape a pour titre: Un bonJeune Homme.
Rome.
Qu'il soit ignorant ou savant, chrétien ou athée,artiste ou bourgeois, ce n'est pas de sang-froid quel'étranger approche de la Ville Éternelle.
L'ignorant s'attendrit à l'idée du pape captif quigémit sur la paille d'un cachot; le savant fouille lacampagne romaine; l'artiste rêve des stanze de Raphaël;le bourgeois qui a usé quelques fonds deculotte sur les bancs du collége pense au fameuxS.P.Q.R.
Qu'on monte en wagon à Pise, à Ancône ou àFlorence pour venir à Rome, et l'on aura des chancespour voir ces divers sentiments se traduire sur la physionomiedes compagnons de voyage que le hasardvous a donnés.
L'aube blanchit les lointains, et déjà de chaquecôté de la voie les arbres, les buissons et les broussaillesémergent de l'ombre avec des formes distinctes.
Quelques voyageurs s'éveillent, et ceux qui occupentles coins du wagon écrasent le bout de leur nezcontre les glaces, après avoir essuyé la buée qui lesrecouvre au moyen du petit rideau de laine bleue.
Les plus curieux baissent la glace et regardent auloin; l'air froid du matin se précipite dans le wagon etréveille les dormeurs. Il en est peu qui se plaignent.Les uns se penchent par la glace ouverte; les autresse mettent debout, et à la lueur vacillante qui tombede la lampe du plafond, ils tâchent de lire quelqueslignes de leur Hands Books de Murray, de leur Baedekerou de leur Joanne, selon la nationalité à laquelleils appartiennent.
Une montagne se détachant d'un massif sombre semontre au loin, blanche de neige.
—C'est le mont Soracte, dit une voix.
Et un personnage au visage rasé et à l'air grave,magistrat ou professeur, murmure le vers d'Horace:
Vides ut alta stet nive candidumSoracte.
A Horace un autre oppose Virgile:
Summe deum, sancti custos Soractis Avollo.
Cependant à droite de la voie une rivière roule seseaux rapides et jaunes entre des berges escarpées.
—C'est le Tibre.
Et l'on se penche pour regarder, en se frottant lesyeux, et en se demandant si l'on ne se trompe pas.
Des vapeurs blanches se traînent, au-dessus de lavallée, au milieu desquelles flottent çà et là quelquesmonticules couronnés d'une pauvre cabane ou d'unbouquet de hêtres. Cela n'est pas beau, mais c'estpeut-être au pied de ces hêtres que «Tityre lentus inumbra a appris aux échos à répéter le nom de la belleAmaryllis.»
Et les souvenirs classiques donnent du style auxpaysages qui défilent le long de la route, même alorsqu'ils sont insignifiants.
—Monte-Rotondo, crient les employés du cheminde fer.
C'est à quelques pas de là que se trouve Mentana,où les chassepots français «firent merveille» pour lapremière et la dernière fois.
Plus d'arbres, plus d'arbustes, des collines nues etdes champs onduleux que recouvre à peine une herbemaigre et jaunie; pas de villages, pas de fermes, pasde maisons, çà et là seulement une ruine ou l'archecroulante d'un aqueduc effondré.
Cependant les yeux courent curieusement sur cesmornes solitudes.
C'est la campagne romaine!
Et ces boeufs gris