VARIÉTÉS
HISTORIQUES
ET LITTÉRAIRES

Recueil de pièces volantes rares et curieuses
en prose et en vers

Revues et annotées

PAR
M. ÉDOUARD FOURNIER

Tome VI

Décoration.

A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
M.DCCCLVI

(p. 5)Décoration

Les estranges et desplorables accidens arrivez en divers endroits sur la rivière de Loire et lieux circonvoisins par l'effroyable desbordement des eaux et l'espouvantable tempeste des vents le 19 et 20 janvier 1633. Ensemble les miracles qui sont arrivez à des personnes de qualité et autres qui ont esté sauvez de ces perilleux dangers.

A Paris, chez Jean Brunet, rue Neufve S. Louys, au Trois de chiffre[1].

M.DC.XXXIII.

Le dix neuf et vingtiesme jour de janvier present mois, il estarrivé que, par les grandes ravines d'eaux qui seroient tombées dequelques montagnes dans les rivières de Loire et d'Alliers, auroienttellement grossi les dites rivières, qu'en moins de quatre heureselles devinrent un des plus furieux (p. 6) et impectueux torrents qued'aage d'homme l'on n'aye peu remarquer.

Particulierement la rivière de Loire[2], de qui de tout temps lesimpetuositez ont tousjours fait de grands naufrages, pour autantqu'elle est platte et non profonde; cela cause son excessiverapidité, et icelle occasionne souventes fois la perte de beaucoup(p. 7) de biens et de personnes qui naviguent sur la dite rivière.

Ces deux eaux, mutuellement assistées et jointes, ont tellement bondyfurieusement, qu'en moins de quatre heures, comme dit est, leurestendue a esté en d'aucuns endroits d'une lieue et demie et plus, oùelles ont perdu et noyé nombre de villages et maisons de noblesse,ce qui n'a esté sans la perte d'un grand nombre de personnes, chosedesplorable à raconter.

A plusieurs les effects miraculeux de la bonté de Dieu ont estémanifestez en ces effroyables perils; j'en specifieray quelques unsdes plus admirables (et tous veritables) pour donner quelque choseaux curieux.

Entre autres, en un hameau (demie lieue de la rivière d'Ailiers[3]),paroisse de Sainct-George, un pauvre père de famille avoit septenfans, lequel, bien empesché à se resoudre en tel danger, pensoitau salut de ses biens; mais, comme le torrent multiplioit sur luy,laissant ce soucy pour pourvoir au salut de sa famille, abandonnases biens à la mercy (p. 8) de ce ravisseur impitoyable. Or,l'affection particulière qu'il portoit à l'un des dits enfans lerendit plus soigneux en ce danger de celuy-là, et, taschant de luyprester secours, fut repoussé par l'eau, qui l'avoit tellement avancéque tous ses efforts furent vains, ayant affaire pour soy

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