GEORGES DARIEN

BIRIBI

DISCIPLINE MILITAIRE




PARIS
ALBERT SAVINE, ÉDITEUR
12, RUE DES PYRAMIDES, 12

1890



PRÉFACE

Ce livre est un livre vrai. Biribi a été vécu.

Il n'a point été composé avec des lambeaux desouvenirs, des haillons de documents, les loquespailletées des récits suspects. Ce n'est pas un habitd'Arlequin, c'est une casaque de forçat—sans doublure.

Mon héros l'a endossée, cette casaque, et elles'est collée à sa peau. Elle est devenue sa peaumême.

J'aurais mieux fait, on me l'a dit, de la jeter—avecart—sur les épaules en bois d'un mannequin.

Pourquoi?

Parce que j'aurais pu, ainsi, mettre une sourdineaux cris rageurs de mes personnages, délayer leurfiel dans de l'eau sucrée, matelasser les murs ducachot où ils écorchent leurs poings crispés, idyliserleurs fureurs bestiales, servir enfin au public,au lieu d'un tord-boyau infâme, un mêlé-cassis trèsbourgeois,—avec beaucoup de cassis.

J'aurais pu, aussi, parler d'un tas de choses dontje n'ai point parlé, ne pas dédaigner la partie descriptive,tirer sur le caoutchouc des sensations possibles,et ne point laisser de côté, comme je l'aifait,—volontairement,—des sentiments nécessaires:la pitié, par exemple.

J'aurais pu, surtout, m'en tenir aux généralités,rester dans le vague, faire patte de velours,—enlaissant voir, adroitement, que je suis seul et uniqueen mon genre pour les pattes de velours,—et memontrer enfin très digne, très auguste, très solennel,—presquenuptial,—très haut sur faux-col.

Aux personnes qui me donnaient ces conseils,j'avais tout d'abord envie de répondre, en employant,pour parler leur langue, des expressionsqui me répugnent, que j'avais voulu faire de lapsychologie, l'analyse d'un état d'âme, la dissectiond'une conscience, le découpage d'un caractère.Mais, comme elles m'auraient ri au nez, je leur airépondu, tout simplement, que j'avais voulu faire dela Vie.

Et elles ont ri derrière mon dos.

Ce n'est pourtant pas si drôle que ça. J'ai mis enscène un homme, un soldat, expulsé, après quelquesmois de séjour dans différents régiments, desrangs de l'armée régulière, et envoyé,—sans jugement,—auxCompagnies de Discipline. Sans jugement,car le Conseil de corps devant lequel il comparaitse contente de faire le total de ses punitionsplus ou moins nombreuses, et le général, qui décidede son envoi à Biribi, suit l'avis du Conseil de corps.Il est incorporé aux Compagnies de Discipline commeforte tête, indiscipliné, brebis galeuse, individu intraitabledonnant le mauvais exemple. Aucun tribunal,civil ou militaire, ne l'a flétri; les folios depunitions de son livret matricule sont noirs, maisson casier judiciaire est blanc. Pas un malfaiteur,un irrégulier. Cet homme passe trois ans aux Compagniesde Discipline; et comment il a usé ces troisannées, j'ai essayé de le montrer. J'ai voulu qu'ilvécût comme il a vécu, qu'il pensât comme il apensé, qu'il parlât comme il a parlé. Je l'ai laissélibre, même, de pousser ces cris affreux qui crèventle silence des bagnes et qui n'avaient point trouvéd'écho, jusqu'ici. J'ai voulu qu'il fût lui,—un paria,un désolé, un malheureux qui, pendant trois ans,renfermé, aigri, replié, n'a regardé qu'en lui-même,n'a pas lu une ligne, n'a respiré que l'air de soncachot,—un cachot ouvert, le pire de tous. J'aivoulu, surtout, qu'il fût ce douloureux, fort et jeune,qui pendant longtemps ne peut pas aimer et quifinit par haïr.

J'ai voulu qu'il souffrît, par devant témoins, cequ'il a souffert isolé.

Maintenant, a-t-on bien fait de l'envoyer là-bas?A-t-on eu tort de le faire souffrir? Peut-être. Mais ce

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