Je n'entrerai pas dans de grands détailssur la vie de Le Sage. Ce qu'on en saita été dit tant de fois et si bien, que jene puis mieux faire, dans l'intérêt dulecteur, que de le renvoyer aux travaux demes devanciers[1], en me bornant à rappelerici quelques faits et quelques dates.Alain-René Le Sage naquit à Sarzeau,petite ville de la presqu'île de Rhuys, prèsde Vannes, le 8 mai 1668. Il était filsunique de Claude Le Sage, notaire royal,et de Jeanne Brenugat. Resté de bonneheure orphelin, il se trouva placé sous latutelle d'un oncle par qui sa fortune futdissipée. Il fit ses études chez les Jésuitesde Vannes, vint les terminer à Paris et sefit recevoir avocat. En 1694, il épouse unefemme sans fortune, fille d'un menuisierde la rue de la Mortellerie. A vingt-sept ansil était père de famille, et la professionqu'il exerçait n'était pas lucrative. Il demandades ressources à la littérature. Surles conseils de Danchet, son ancien condiscipleau collége de Vannes, il fit une traductiondes Lettres d'Aristenète, qui paruten 1695 et n'eut aucun succès. Heureusementl'abbé de Lyonne s'intéressa à LeSage. Il lui procura quelques ressources etsut lui faire partager le goût très-vif qu'ilavait pour la littérature espagnole. Cettelittérature, après avoir été en grande faveurchez nous, y était alors fort négligée. Elledevint bientôt familière à Le Sage, quitrouva là le champ où devait se développeret mûrir son talent. Il commença par traduirequelques pièces de théâtre: Le Traîtrepuni, de Roxas, imprimé en 1700; DonFélix de Mendoce, de Lope de Vega; LePoint d'honneur, de Rojas, qui fut joué en1702. Puis il fit une traduction ou plutôtune imitation des Nouvelles Aventures deDon Quichote, d'Avellaneda, qui paruten 1704, et une comédie en cinq actes eten prose, tirée de Calderon, Don CésarUrsin, qui réussit à la cour et fut sifflée àla ville.
[1] Voir notamment la Vie de Le Sage (par Ch.Jos. Mayer), suivie d'une lettre du comte de Tressan,en tête de l'édition des Œuvres choisies deLe Sage, Paris, 1782; la Notice de Beuchot, entête de l'édition des Œuvres choisies, Paris, 1818;La Notice de François de Neufchateau en tête deson édition de Gil Blas, Paris, 1820; Spence, Anecdotes,London, 1820; Audiffret, Notice historiquesur Le Sage, Paris, 1822; Patin, Éloge de LeSage, Paris, 1822; Malitourne, Éloge de Le Sage,Paris, 1822; W. Scott, Miscellaneous Works, Paris,1837, t. III; Villemain, Littérature française dudix-huitième siècle, t. I; Sainte-Beuve, Causeriesdu lundi, t. II; Jules Janin, Notice sur Le Sage,en tête du Diable Boiteux, Paris, Bourdin, 1840,gr. in-8; Biographie Didot, article Le Sage;Ticknor, Histoire de la Littérature espagnole. (Jeme sers de la traduction allemande de N. H. Julius,Leipzig, 1852, 2 vol. in-8.)
Tout cela n'avait pas fait beaucoup pourla gloire et la fortune de Le Sage; mais lemoment du triomphe approchait. En 1707,l'année la plus heureuse de sa vie, il obtintdeux succès magnifiques, au théâtre avecCrispin rival de son maître, dans le romanavec