LE MARQUIS DI RUDINI

PRÉSIDENT DU NOUVEAU CONSEIL DES MINISTRES, EN ITALIE.

Photographie Le Lieure.




n nous avait promis le Bœuf gras pour cette année, le classique etcomique Bœuf gras de notre enfance, l'héritier du bœuf Apis promenétriomphalement à travers les rues entre quatre mousquetaires de carnavalet cinq ou six bouchers costumés en Hercules--nous n'avons pas eu leBœuf gras. Pourquoi?

Peut-être tout simplement parce qu'il avait été décidé qu'onl'appellerait Thermidor. Il paraît que tout ce qui rappelle les plusmauvais jours de notre histoire littéraire doit être prudemmentproscrit. Pas de Thermidor au théâtre, pas de bœuf Thermidor dansla rue.

Je plains le ruminant, qui y perd un jour de triomphe sans y avoir gagnéun jour de répit, car il est assommé maintenant, dépecé, débité, avaléet même digéré. L'autre jour, à la porte d'un grand boucher des environsde l'Opéra, je voyais, arrêté et tenu par un licol, un gros et grasanimal, un bœuf de couleur café au lait que les passants admiraient,attaché ainsi sous un écriteau portant ces mots: «Concours d'animaux.Lauréat. 3e prix. Acheté par...» Et le nom du boucher.

Il était là, ce triomphateur destiné à l'abattoir, flairant de sonmufle étonné la paille jaune qu'on lui donnait pour litière, en pleinerue, et le pauvre animal semblait chercher dans cette paille sèche unpeu de l'herbe verte et fraîche de ses prairies. Il ne comprenait paspourquoi on l'avait promené de son étable à l'exposition, del'exposition à cette boucherie, et pourtant je ne sais quelleinstinctive et vague inquiétude passait dans ses bons gros yeux las. Etje songeais à l'admirable page qu'écrivait naguère Pierre Loti, Viandede Boucherie, en parlant des bœufs que l'on abat, pour nourrir lesmarins, au fond du navire.

Peut-être pensent-ils, ces êtres. La brute a aussi ses mélancolies, etle Bœuf gras promené parmi les multitudes, avec ses cornes dorées etson caparaçon de velours, a peut-être, dans les fanfares et les cornetsà bouquin, le sentiment de ce qui l'attend au bout de la route: le coupde maillet du sacrificateur. Oh! le plaisant divertissement! Un bœufqu'on promène et qu'on va tuer!

La vie, après tout, est si monotone qu'on peut bien lui demander depetites distractions pittoresques, fût-ce la promenade d'un bœuf lelong de nos boulevards. Ah! le malheureux carnaval! Il est passe et iln'a pas existé! Il se réveillera à moitié dans peu de jours pour lami-carême et ce sera tout. Ce mot de Carnaval n'en a pas moins un telattrait, une telle sonorité de grelots et de gaîté, que les Romainsl'ont exploité jusque chez nous et que de gigantesques affiches avec unepittoresque image de Marchetti attiraient les yeux rue Vivienne etfaisaient scintiller ces mots: Carnaval de Rome!

Et quelle envie de partir, de jeter et de recevoir des mocoli le longdu Corso et de revoir l'Italie qui n'est plus ou ne semble plus l'Italiede M. Crispi, mais qui est celle de M. di Rudini! Il faudrait ne pasavoir lu Monte-Cristo pour n'avoir pas la tentation folle d'assister aucarnaval de Rome. Hélas! cette tentation, j'y ai résisté malgré moi etmalgré la belle affiche-image de la rue Vivienne. Je suis resté à Pariset j'ai vu défiler les quatorze ou quinze gavroches qui constituent lamascarade annuel

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