La psychologie générale de l'amour.—L'amour selon les loisnaturelles.—La sélection sexuelle.—Place de l'homme dansla nature.—Identité de la psychologie humaine et de lapsychologie animale.—Caractère animal de l'amour.
Ce livre, qui n'est qu'un essai, parce que la matière de son idée estimmense, représente pourtant une ambition: on voudrait agrandir lapsychologie générale de l'amour, la faire commencer au commencementmême de l'activité mâle et femelle, situer la vie sexuelle de l'hommedans le plan unique de la sexualité universelle.
Sans doute, quelques moralistes ont prétendu parler de l'amour selonles lois naturelles. Mais ces lois naturelles, ils les ignoraientprofondément: tel Sénancour, dont le livre, entaché d'idéologie,reste cependant ce qu'on a écrit de plus hardi sur un sujet que rien,puisqu'il est essentiel, ne peut banaliser. Si Sénancour avait été aucourant de la science de son temps, s'il avait lu seulement[p. 8] Réaumur etBonnet, Buffon et Lamarck, s'il avait osé intégrer l'une dans l'autrel'idée d'homme et celle d'animal, il aurait pu, étant un esprit sanspréjugés irréductibles, ordonner une œuvre qu'on lirait encore. Lemoment eût été heureux. On commençait à connaître les mœurs exactesdes animaux; Bonnet avait établi d'audacieux rapprochements entre lagénération charnelle et la génération végétale; l'essentiel de laphysiologie était trouvé; la science de la vie était claire, étantbrève: une théorie pouvait se tenter de limité psychologique dans lasérie animale.
Une telle œuvre eût évité bien des sottises au siècle qui commençait.On se serait accoutumé à ne considérer l'amour humain que comme unedes formes innombrables, et peut-être pas la plus curieuse, que revêtl'instinct universel de reproduction, et ses anomalies apparentesauraient rencontré une explication normale dans les extravagances mêmesde la nature. Darwin est venu, et il a inauguré une méthode utile,mais ses vues sont trop systématiques, son but trop explicatif, sonéchelle des êtres, avec l'homme en haut, somme de l'effort universel,d'une simplicité trop théologique. L'homme n'est pas au sommet de lanature; il est dans la nature, l'une des unités de[p. 9] la vie, et rien deplus. Il est le produit d'une évolution partielle et non le produitde l'évolution totale; la branche où il fleurit part, ainsi que desmilliers d'autres branches, d'un tronc commun. D'ailleurs, Darwin,soumis à la pudibonderie religieuse de sa race, a presque entièrementnégligé les faits sexuels stricts, et cela rend incompréhensible sathéorie de la sélection sexuelle comme principe de changement. Maiseût-il fait état du mécanisme de l'amour, ses conclusions, peut-êtreplus logiques, n'en auraient pas moins été inexactes, car si lasélection sexuelle a un but, il ne peut être que conservateur. Lafécondation est une réintégration d'éléments différenciés en un élémentunique; c'est un retour perpétuel à l'unité.
Il n'y a pas un grand intérêt à considérer les actes humains commeles fruits de l'évolution, puisque sur des branches animales aussinettement séparées, aussi éloignées que les insectes et les mammifères,on trouve des actes sexuels et des mœurs sociales très sensiblementanalogues, sinon identiques en beaucoup de points. I