PAR
ÉMILE ZOLA
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DOUZIÈME MILLE
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PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
G. CHARPENTIER ET E. FASQUELLE, ÉDITEURS
11, RUE DE GRENELLE, 11
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1896
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Pendant la nuit, le train avait eu de grands retards,entre Pise et Civita-Vecchia, et il allait être neuf heuresdu matin, lorsque l'abbé Pierre Froment, après un durvoyage de vingt-cinq heures, débarqua enfin à Rome. Iln'avait emporté qu'une valise, il sauta vivement du wagon,au milieu de la bousculade de l'arrivée, écartant les porteursqui s'empressaient, se chargeant lui-même de sonléger bagage, dans la hâte qu'il éprouvait d'être arrivé,de se sentir seul et de voir. Et, tout de suite, devant laGare, sur la place des Cinq-Cents, étant monté dans unedes petites voitures découvertes, rangées le long du trottoir,il posa la valise près de lui, après avoir donnél'adresse au cocher:
—Via Giulia, palazzo Boccanera.
C'était un lundi, le 3 septembre, par une matinée deciel clair, d'une douceur, d'une légèreté délicieuses. Lecocher, un petit homme rond, aux yeux brillants, auxdents blanches, avait eu un sourire en reconnaissant unprêtre français, à l'accent. Il fouetta son maigre cheval,la voiture partit avec la vive allure de ces fiacres romains,si propres, si gais. Mais, presque aussitôt, après avoirlongé les verdures du petit square, arrivé sur la place desThermes, il se retourna, souriant toujours, désignant deson fouet des ruines.
—Les Thermes de Dioclétien, dit-il en un mauvaisfrançais de cocher obligeant, désireux de plaire auxétrangers, pour s'assurer leur clientèle.
Des hauteurs du Viminal, où se trouve la Gare, la voituredescendit au grand trot la pente raide de la rueNationale. Et, dès lors, il ne cessa plus, il tourna la têteà chaque monument, le montra du même geste. Dans cebout de large voie, il n'y avait que des bâtisses neuves.Sur la droite, plus loin, montaient des massifs de verdure,en haut desquels s'allongeait un interminablebâtiment jaune et nu, couvent ou caserne.
—Le Quirinal, le palais du roi, dit le cocher.
Pierre, depuis une semaine que son voyage était décidé,passait les jours à étudier la topographie de Romesur des plans et dans des livres. Aussi aurait-il pu sediriger, sans avoir à demander son chemin, et les explicationsle trouvaient prévenu. Ce qui le déroutait pourtant,c'étaient ces pentes soudaines, ces continuellescollines qui étagent en terrasses certains quartiers. Maisla voix du cocher se haussa, bien qu'un peu ironique, etle mouvement de son fouet se fit plus ample, lorsque,su