ANATOLE FRANCE
DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
I
PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3
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Mon premier devoir serait de faire connaître les sources de cettehistoire; mais L'Averdy, Buchon, J. Quicherat, Vallet de Viriville,Siméon Luce, Boucher de Molandon, MM. Robillard de Beaurepaire, Lanéryd'Arc, Henri Jadart, Alexandre Sorel, Germain Lefèvre-Pontalis, L.Jarry et plusieurs autres savants, ont publié et illustré lesdocuments de toute sorte d'après lesquels on peut écrire la vie deJeanne d'Arc. Je m'en réfère à leurs travaux qui forment une opulentebibliothèque[1] et, sans entreprendre une nouvelle étude littéraire deces documents, j'indiquerai (p. II) seulement, d'une façon rapide etgénérale, les raisons qui m'ont dirigé dans l'usage que j'ai crudevoir en faire. Ces documents sont: 1o le procès de condamnation;2o les chroniques; 3o le procès de réhabilitation; 4o les lettres,actes et autres pièces détachées.
1o Le procès de condamnation[2] est un trésor pour l'historien. Lesquestions des interrogateurs ne sauraient être étudiées avec trop desoin: elles procèdent d'informations faites à Domremy et en diverspays de France où Jeanne avait passé, et qui n'ont point étéconservées. Les juges de 1431, est-il besoin de le dire? nerecherchaient en Jeanne que l'idolâtrie, l'hérésie, la sorcellerie etles autres crimes contre l'Église; ils n'en examinèrent pas moins toutce qu'ils purent connaître de la vie de cette jeune fille, enclins,comme ils l'étaient, à découvrir du mal dans chacun des actes et danschacune des paroles de celle qu'ils voulaient perdre pour déshonorerson roi. Tout le monde sait le prix des réponses de la Pucelle; ellessont d'une héroïque sincérité et, le plus souvent, d'une clartélimpide. Cependant, il n'y faut pas tout prendre à la (p. III)lettre. Jeanne, qui ne regarda jamais l'évêque ni le promoteur commeses juges, n'était pas assez simple pour leur dire l'entière vérité.C'était déjà, de sa part, beaucoup de candeur que de les avertirqu'ils ne sauraient pas tout[3]. Il faut reconnaître aussi qu'ellemanquait étrangement de mémoire. Je sais bien qu'un greffier admiraitqu'elle se rappelât très exactement, au bout de quinze jours, cequ'elle avait répondu à l'interrogateur[4]. C'est possible, bienqu'elle variât quelquefois dans ses dires. Il n'en est pas moinscertain qu'il ne lui restait, après un an, qu'un souvenir confus decertains faits considérables de sa vie. Enfin, ses hallucinationsperpétuelles la mettaient le plus souvent hors d'état de distinguer levrai du faux.
L'instrument du procès est suivi d'une information sur plusieursparoles dites par J