COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE

REVUE MENSUELLE

XXVI

COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE

UN ENTRETIEN PAR MOIS

PAR
M. DE LAMARTINE

TOME VINGT-SIXIÈME

PARIS
ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR
9, RUE CAMBACÉRÈS (ANCIENNE RUE DE LA VILLE-L'ÉVÊQUE, 43)
1868

(p. 5) COURS FAMILIER
DE
LITTÉRATURE

CLIe ENTRETIEN
MOLIÈRE ET SHAKESPEARE

I

Voilà Molière.

Voyons Shakespeare.

Jugeons ces deux représentants de deux grands peuples.

L'un est l'art dans un pays déjà civilisé: Molière.

(p. 6) L'autre est la nature dans un pays déjà cultivé aussi, maissans goût encore. Voltaire a dit un sauvage ivre; nous ne dirons pasune telle grossièreté, mais nous disons un novice de génie dans unpays à l'aurore de sa littérature.

Ces deux hommes procèdent d'eux-mêmes et d'eux seuls; ils sortent l'unet l'autre de la même souche, la souche primitive de la population:l'artisan. Ils sont grands hommes par hasard. Nous avons vu commentMolière entre malgré sa famille dans une troupe de comédiens, oùl'amour le convie et le retient; voyons comment Shakespeare échappemême à la famille et à l'amour pour aller entrer dans une troupe decomédiens aussi par la porte des plus ignobles emplois; ni dans l'unni dans l'autre, aucune prétention, aucun système, le besoin de vivre,de gagner son pain; à côté du pain ils trouvent, par surcroît, lagloire. Nous nous acharnons en ce moment à attendre des légions degrands hommes par l'instruction obligatoire. J'attends plutôt lesgrands hommes par nécessité. Ce n'est pas la politique qui enfante legénie, c'est la nature.

(p. 7) ENTRETIEN CLI

II

Shakespeare arrive à Londres pauvre et inconnu. Il débute comme unvendeur de contre-marques à la porte d'un de nos théâtres deboulevard. Il garde et promène les chevaux des spectateurs pendant queceux-ci regardent la pièce. Ce triste métier lui donne un pain amer. Àla fin, il s'élève de cette abjection au grade d'aboyeur,c'est-à-dire qu'il appelle les domestiques pour venir mettre le pied àl'étrier de leur maître. De temps en temps, il entre lui-même dans lescoins obscurs de la salle et il boit l'avant-goût du talent dans lacoupe du pauvre. Cela le fait réfléchir et il se dit: Ne pourrais-jepas en faire autant? Il laisse la bride de ses chevaux et il tentequelques farces grossières qui font rire la taverne. N'est-ce pasla même chose que Molière suivant la Béjart en Languedoc et débutant,par amour, par les rapsodies de Sganarelle et de Georges Dandin,imitées de mauvais théâtres italiens?

(p. 8) III

Victor Hugo, après une consciencieuse et pénible étude, raconte ainsila statistique de ces tréteaux.

«Les décors étaient simples. Deux épées croisées, quelquefois deuxlattes signifiaient une bataille; la chemise par-dessus l'habitsignifiait un chevalier; la jupe de la ménagère des comédiens sur unmanche à balai signifiait un palefroi caparaçonné. Un théâtre riche,qui fit faire son inventaire en 1598, possédait «des membres demaures, un dragon, un grand cheval avec ses jambes, une cage, unrocher, quatre têtes de turcs et celle du vieux Méhémet, une roue pourle siége de Londres et une bouche d'enfer.» Un autre avait «un soleil,une cible, les trois plumes du prince de Galles avec la devise: ICHDIEN, plus

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!