PAR
PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A. BOURDILLIAT ET Ce, ÉDITEURS
1860
Paris.—Imp. de la Librairie Nouvelle, A. Bourdilliat, 15, rue Breda.
AU ROMANCIER BARBARA.
Elles ne sont donc pas perdues, mon cher ami, les longuessoirées qu'il y a dix ans nous passions à étudier en compagnieles œuvres d'Haydn, de Mozart et de Beethoven.
Quand je quittai ces heureux quatuors de notre jeunesse,c'est que je compris combien étaient dangereuses les infidélitésfaites au livre. Les efforts nerveux dépensés au servicede la musique étaient autant de perdu pour le roman; maisil ne m'en resta pas moins une vive curiosité pour les œuvresmusicales modernes ou anciennes, et mercredi, 24 janvier1860, à l'audition du premier fragment de RichardWagner, je sentis pousser sur le riche fumier que nous avionsamassé lentement pendant quelques années les fleurs charmantesde l'Initiation en musique.
Je comprenais la pensée du maître et c'est ce qui motive laprésente lettre pour laquelle j'interromps les travaux les pluspressants, me souciant médiocrement des intérêts d'aujourd'huiet de demain, impatient de crier la vérité, ne pouvantéchapper à la tyrannie de la pensée qui m'envoie au cerveaudes phrases toutes faites sur l'œuvre de Richard Wagner et[4]qui me commande enfin les lignes qui vont suivre frémissantes,laissant à peine à ma plume le temps de les tracer.
Richard Wagner! Je retrouve ce nom logé dans un coinde ma mémoire par un critique académique, M. Fétis père,de Bruxelles en Brabant, Van Fétis, un rat de bibliothèque,un commentateur sans portée, un biographe à coups de ciseaux,qui a écrit quelque part que Wagner «était le Courbetde la musique.»
Comme vous le pensez, c'était dans la pensée du Flamandune insulte qui me donna longtemps à réfléchir. Que pouvaitêtre un Courbet en musique? C'est ce que je cherchaipéniblement. Le grand peintre, assailli et insulté depuis silongtemps par les gandins des petits journaux, est un artisteremarquable avant tout par la puissance de son pinceau.
On peut découper dans chacune de ses toiles un morceau,c'est de la peinture; mais comme les Français se connaissentmédiocrement en peinture et qu'ils s'attachent avanttout au sujet, à l'esprit et au joli, Courbet nepouvait être compris.
En même temps, l'accusation de réalisme venait se joindreaux efforts des jaloux pour empêcher le développement dumaître, et il en était de ce mot de réalisme comme du titrede Musique de l'avenir, dont on a affublé ironiquement RichardWagner.
Je parlerai plus tard du titre de Musique de l'avenir, dontles adversaires de Wagner se sont servis longtemps commed'une massue, croyant l'accabler; mais les massues des journalistesne sont que des massues des Funambules, en toilepeinte avec du foin dedans.
[5]Ne faut-il pas avant tout adresser des remercîments auxcritiques de profession dont tous les coups portent à faux?Ils arrêtent d'abord la marche de l'homme fort, nuisent à safortune, jettent des bâtons