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1862
Mon arrivée en Angleterre; aspect général du pays.—Mon établissementdans Hertford-House, hôtel de l'ambassade.—Je présente à lareine Victoria mes lettres de créance.—Incident de cetteaudience.—Situation respective de l'aristocratie et de la démocratiedans le gouvernement anglais.—Mon premier dîner et ma première soiréechez lord Palmerston.—Lord Melbourne et lord Aberdeen.—Le ducde Wellington.—Mon premier dîner chez la reine, àBuckingham-Palace.—Lever que tient la reine au palais deSaint-James.—Chute du maréchal Soult et avénement de M.Thiers.—Dispositions du roi Louis-Philippe.—Situation de M.Thiers.—Opinions diverses de mes amis sur la question de savoir sije dois rester ambassadeur à Londres.—Raisons qui me décident àrester.—Mes lettres à mes amis.—Commencement de la correspondanceentre M. Thiers et moi.
J'avais beaucoup étudié l'histoire d'Angleterre et la sociétéanglaise. J'avais souvent discuté, dans nos Chambres, les questions depolitique extérieure. Mais je n'étais jamais allé en Angleterre et jen'avais jamais fait de diplomatie. On ne sait pas combien on ignore ettout ce qu'on a à apprendre tant qu'on n'a pas vu de ses propres yeuxle pays et fait soi-même le métier dont on parle.
Ma première impression, en débarquant à Douvres, le 27 février 1840,fut une impression de contraste. A Calais, moins de population qued'espace, peu de mouvement d'affaires, des promeneurs errants sur laplace d'armes ou sur le port, quelques groupes arrêtés çà et làet causant tout haut, des enfants courant et jouant avec bruit;à Douvres, une population pressée, silencieuse, ne cherchant niconversation ni distraction, allant à ses affaires; sur une rive, leloisir animé; sur l'autre, l'activité préoccupée de son but. Amon arrivée à Douvres comme à mon départ de Calais, des curieuxs'approchaient de moi; mais les uns regardaient pour s'amuser, lesautres observaient attentivement. Pendant ma route en poste de Douvresà Londres, j'eus d'abord une impression semblable; en traversantsoit les campagnes, soit les villes, dans l'aspect du pays et despersonnes, ce n'était plus la France que je voyais; après deux heuresde voyage, cette impression avait disparu; je me sentais comme enFrance, dans une société bien réglée, au milieu d'une populationintelligente, active et paisible. Sous des physionomies diverses,c'était la même civilisation générale. On passe sans cesse, enAngleterre, de l'une à l'autre de ces impressions; ce sont tantôt lesdifférences, tantôt les ressemblances des deux pays qui apparaissent.J'arrivai à Londres vers la fin de la matinée; j'avais voyagé par unbeau soleil froid qui entra, comme moi, dans le vaste brouillard dela ville et s'y éteignit tout à coup. C'était encore le jour, mai