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Les Désenchantées

par Pierre Loti.

LES DÉSENCHANTÉES

Roman des harems Turcs contemporains.

A la chère et vénérée et angoissante mémoire de

LEYLA-AZIZÉ-AÏCHÉ Hanum,

fille de Mehmed Bey J… Z… et de Esma Hanum D…, née le 16 Rébi-ul-ahir 1297 à T… (Asie-Mineure), morte le 28 Chebâl 1323 (17 décembre1905) à Ch… Z… (Stamboul).

Pierre Loti.

AVANT PROPOS

C'est une histoire entièrement imaginée. On perdrait sa peine en voulantdonner à Djénane, à Zeyneb, à Mélek ou à André, des noms véritables, carils n'ont jamais existé.

Il n'y a de vrai que la haute culture intellectuelle répandueaujourd'hui dans les harems de Turquie, et la souffrance qui en résulte.

Cette souffrance-là, apparue peut-être d'une manière plus frappante àmes yeux d'étranger, mes chers amis les Turcs s'en inquiètent déjà etvoudraient l'adoucir.

Le remède, je n'ai, bien entendu, aucune prétention à l'avoir découvert,quand de profonds penseurs, là-bas, le cherchent encore. Mais, commeeux, je suis convaincu qu'il existe et se trouvera, car le merveilleuxprophète de l'Islam, qui fut avant tout un être de lumière et decharité, ne peut pas vouloir que des règles édictées par lui jadis,deviennent, avec l'inévitable évolution du temps, des motifs desouffrir.

Pierre Loti.

PREMIÉRE PARTIE

I

André Lhéry, romancier connu, dépouillait avec lassitude son courrier,un pâle matin de printemps, au bord de la mer de Biscaye, dans lamaisonnette où sa dernière fantaisie le tenait à peu près fixé depuis leprécédent hiver.

"Beaucoup de lettres, ce matin-là, soupirait-il, trop de lettres."

Il est vrai, les jours où le facteur lui en donnait moins, il n'étaitpas content non plus, se croyant tout à coup isolé dans la vie. Lettresde femmes, pour la plupart, les unes signées, les autres non, apportantà l'écrivain l'encens des gentilles adorations intellectuelles. Presquetoutes commençaient ainsi: "Vous allez être bien étonné, monsieur, envoyant l'écriture d'une femme que vous ne connaissez point." Andrésouriait de ce début: étonné, ah! non, depuis longtemps il avait cesséde l'être. Ensuite chaque nouvelle correspondance, qui se croyaitgénéralement la seule au monde assez audacieuse pour une telle démarche,ne manquait jamais de dire: "Mon âme est une petite soeur de la vôtre;personne, je puis vous le certifier, ne vous a jamais compris commemoi." Ici, André ne souriait pas, malgré le manque d'imprévu d'unepareille affirmation; il était touché, au contraire. Et, du reste, laconscience qu'il prenait de son empire sur tant de créatures, éparses età jamais lointaines, la conscience de sa part de responsabilité dansleur évolution, le rendait souvent songeur.

Et puis, il y en avait, parmi ces lettres, de si spontanées, siconfiantes, véritables cris d'appel, lancés comme vers un grand frèrequi ne peut manquer d'entendre et de compatir! Celles-là, André Lhéryles mettait de côté, après avoir jeté au panier les prétentieuses et lesbanales; il les gardait avec la ferme intention d'y répondre. Mais, leplus souvent, hélas! le temps manquait, et les pauvres lettress'entassaient, pour être noyées bientôt sous le flot des suivantes etfinir dans l'oubli.

Le courrier de ce matin en contenait une timbrée de Turquie, a

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